Urgences : les raisons et les solutions à la crise selon Patrick Pelloux et Mathias Wargon

By 16 juin 2022Articles récents

Depuis plusieurs semaines, de nombreux médecins urgentistes tirent la sonnette d’alarme sur la situation actuelle des urgences en France. Plus d’une centaine de services ont déjà dû limiter leur activité. Patrick Pelloux et Mathias Wargon, médecins urgentistes, prédisent même un été « catastrophique » si aucune mesure n’est prise d’ici là.  Ils font le point sur les  cette crise et les solutions qu’ils entrevoient pour y remédier.

Tous deux sont médecins urgentistes depuis de nombreuses années. Patrick Pelloux, urgentiste au Samu de Paris, également président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers (Amuf), et Mathias Wargon, chef de service des urgences SMUR du centre hospitalier Delafontaine, en Seine-Saint-Denis, font le constat d’une situation de crise exceptionnelle dans les services d’urgences hospitalières. Et parlent volontiers de « catastrophe possible » pour l’été prochain.

Une situation de crise des urgences depuis le mois d’avril

« Je sors de garde. Nous avons mis deux heures à trouver une place dans un service pour un patient atteint d’une pathologie grave. C’est tout l’hôpital qui est K.O », entame Patrick Pelloux. « C’est la première fois que nous sommes dans une telle situation aux urgences, avec plus d’une centaine de services* qui limitent ou régulent leur activité, partout en France. Même des hôpitaux situés dans des villes où tout le monde souhaite d’habitude travailler, comme Ajaccio ou Saint-Tropez, n’arrivent plus à recruter ». Une situation qui se généralise donc, comme le constate également Mathias Wargon. Dans son hôpital de Seine-Saint-Denis, le chef de service a vu une croissance exponentielle des urgences en avril 2022. Même constat à Nancy où l’hôpital a connu 20% d’actes d’urgences en plus ce même mois par rapport à l’an passé. Or, les personnels en place sont fatigués. « On voit des équipes qui renoncent et des burn out très importants », raconte Patrick Pelloux.

L’épuisement du personnel hospitalier

Tous deux parlent d’un ras-le bol post Covid. « On a eu beaucoup de moyens pendant les deux premiers mois de la crise sanitaire, puis plus rien, et même de nouveaux plans économiques », retrace Mathias Wargon. Les conditions de travail et la rémunération du personnel jouent également beaucoup.  « À l’hôpital, les horaires de travail sont atypiques, voire difficiles. Les vacances peuvent également être annulées, il y a des problèmes pour avoir du matériel… Tout cela concourt à une perte de sens au sein du personnel. » Le contraste de rémunération entre les médecins du secteur public et ceux du privé n’arrange rien. « Les gardes des médecins dans le privé sont à la fois payées plus cher et défiscalisables », détaille Patrick Pelloux. « Du coup, l’hôpital public voit ses médecins déserter ses rangs au fil des années ».

Résoudre les problèmes en amont et en aval des urgences

Les deux urgentistes s’accordent en outre sur tous les autres problèmes qui ont mené à cette situation de crise. Ils se situent, selon eux, à la fois en amont et en aval des urgences. « Deux millions de Français n’ont plus de médecin traitant », explique Patrick Pelloux. Certains d’entre eux se tournent donc vers les urgences hospitalières lorsqu’ils ont un problème. « Les généralistes, qui pourtant travaillent beaucoup, ne font presque plus de visites à domicile. Ils ne sont plus assez nombreux. » Le nombre de passages aux urgences a en effet augmenté de plus de 3,5% par an depuis la fin des années 90. « On est dans le creux de la vague du numérus clausus. Le manque de médecins aurait dû être anticipé dès 2010 », estime Mathias Wargon. Il cite également les problèmes rencontrés dans le suivi des patients après un passage aux urgences. « On manque de lits pour les soins de suite, de temps et de personnel pour organiser les retours à domicile. »

Une meilleure rémunération, davantage de médecins, de meilleures conditions de travail aux urgences

Quant aux solutions, elles sont, pour les deux urgentistes, à trouver dans un premier temps dans une meilleure rémunération du personnel. « Il faut absolument maintenir les médecins à l’hôpital, et recruter », appuie Patrick Pelloux. « Pour cela, il faut selon moi doubler la rémunération des gardes, augmenter les salaires de l’ensemble du personnel et valoriser la permanence des soins. Et il faut augmenter de 50% le nombre d’étudiants en médecine. » Mathias Wargon estime également qu’une meilleure répartition de la charge de travail sur d’autres métiers serait souhaitable. « Je suis pour la formation d’infirmiers en pratique avancée (IPA). Ils aideraient plus les médecins tout en avançant dans leur carrière. »

Il faut que, de nouveau, l’hôpital soit un lieu vivable où les médicaux et paramédicaux s’épanouissent” Mathias Wargon

Enfin, le chef des urgences de Saint-Denis évoque l’amélioration des conditions de travail. « Dans mon service, on fait en sorte que, malgré la crise, les activités de formation et d’enseignement soient comptées dans le temps de travail du personnel. Se former participe à rendre le travail intéressant. Et on essaie que chacun ait le droit à la parole. Il faut que, de nouveau, l’hôpital soit un lieu vivable où les médicaux et paramédicaux s’épanouissent.»

*La France compte environ 640 services d’urgences dont 77% dans les hôpitaux publics.

Une « mission flash » sur l’hôpital proposée par Emmanuel Macron

Le président de la République a annoncé mardi 31 mai le lancement d’une « mission flash » d’un mois. Ce travail a été confié à François Braun, président du syndicat Samu-Urgences de France (SUdF). Il vise à apporter dès cet été des solutions à la crise des services d’urgences à l’hôpital. François Braun a quatre semaines pour avancer sur la crise en matière d’accès aux soins non programmés en France,  en ville comme à l’hôpital. Il devra pour cela identifier les dysfonctionnements et proposer des solutions “rapidement applicables” pour maintenir la continuité de l’accès aux soins partout sur le territoire.

Suite à cette annonce, plusieurs sénateurs se sont interrogés sur la nécessité de mener une nouvelle réflexion sur le sujet, un rapport de 313 pages rédigé par leurs soins ayant déjà été remis en début d’année. Ils ont d’ores et déjà demandé à auditionner rapidement François Braun sur sa méthodologie à venir.